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1Monseigneur, il vous plaira m’excuser si je ne feis promptement responce à la lettre que de vostre grâce m’escrivistes dernièrement du XXVe du passé, d’autant que lors ne se présentois chose digne de vous escripre, avec ce
2que le messagier partist plus tost que je n’estimois. Or à présent, par ce que demain je m’en voye
3faire ung tour pour visiter ma maison des champs afin de m’accheminer par après à Grenoble,
4je n’ay voulu faillir vous faire part des nouvelles que nous avons eu ceste sepmaine dernière en ceste ville.
5En premier lieu de Constantinoble, monsieur d’Acx, ambassadeur pour le roy, escrit
6du XIIe de juing comme estant arrivé là, il a esté receu avec ung grandissime accueil et peu à peu
7a remis l’ambassadeur de France en son antienne autorité, crédit et splendeur, et plus que jamais le Grand Seigneur
8en faveur du roy a relâché librement et sans rançon Dom Gian Paulo Vagliony, collonel pour les Vénitiens
9à Famagoste, en qui y avoit esté prins, pour la rançon duquel en avoit demandé aux Vénitiens troys
10villes d’importance. Il a semblablement relaché pour les mêmes considérations trois grandz seigneurs
11chevaliers de Rodes, qui estoient à la chesne et a permis audit seigneur d’Acx rachepter trente chevaliers de Malte,
12qui semblablement estoient à la chesne, ce qu’il a faict de ses deniers, disant sur plus que son voiage
13apportera plus d’utilité à la Chrestienté que n’a estimé le pape et ceulx de la Ligue car par ces nouvelles
14choses pourront estre modérées. Quant aux armées du Turcq, ledit seigneur d’Acx escrit comme depuis quelque
15temps après la victoire des Chrétiens en Morée, de cinq mois, ledit Turcq a faict faire cent gallères
16et cent galléaces qui sont en très bon ordre, bien équippées et munyes de tout, avec lesquelles il délibère
17se deffendre ceste année s’il est assailly, en intention d’en faire faire ceste année encores quatre
18cent qu’il s’asseure seront prestes et équippées pour le commencement du printemps prochain, pour assaillir
19ses ennemys de tous coustez, se contentant pour le présent de temporiser, quelque despence qu’il ayt
20sceust faire jusque icy. Il n’a encores aulcunement touché en ses trésors. Il faict venir de Caramange
21cinquante mil hommes, de plus furieux et bravres qu’on ayt jamais veu, lesquelz encores
22qu’à présent ilz puissent estre partis de leur lieu, ne pourront toutesfois arriver en Constantinoble
23avant ledit printemps, concluant ledit seigneur d’Acx que si l’armée de la Ligue n’exécute quelque chose
24cest année, qu’elle ne prenne villes ou defface l’armée du Turcq, que l’année prochaine ilz ne
25pourront résister à si grandz fraiz, ains au contraire, seront empesché de se garder.
26De Rome du VIIe passé, ung nepveu de monsieur de Malras escrit comme les Italiens
27et Espaignolz croient fermement la guerre ouverte entre les roys de France et d’Espaigne,
28car quelque raisons que l’on leur scaiche alléguer, ilz tiennent le roy pour autheur et faulteur
29des rebellions de Flandres, disans que jamais les Gueuz dudit païs n’eussent osé entreprendre
30à se soulever sans la faveur et l’autorité du roy. Le pape et les cardinaulx sont en ceste
31opinion, encores que sa majesté, par homme exprès, luy ay faict entendre que l’on se peut asseurer
32qu’il ne commencera jamais guerre s’il n’y est contrainct et forcé et qu’il n’a jamais entendu ny
33consenty aux troubles de Flandres et que l’occasion qui l’a faict armer en son royaulme
34[v°] n’a esté à autre que pour se garder s’il estoit assailly, voiant tout ses voisins armer au tour de luy
35et qu’il n’est tenu ny obligé de rendre compte à personne de ses desseings ny voluntez. Brief,
36ledit seigneur de Malras escrit qu’il crainct que les choses ne s’aigrissent et qu’au lieu de
37revenir avec bénédiction, les François ne s’en retournent avec grandes malédictions. Dieu porvoira
38à tout. Le Turcq a envoié à Rome ung ambassadeur pour visiter le filz du Bassa son nepveu
39et pour traicter de sa délivrance. Je vous envoie coppie des parolles qu’il a leues
40audit nepveu, luy faisant la reverance en le visitant. L’on ne scaye encores ce qu’il en
41reuscira.
42De Venise, par lettre du dernier passé, l’on escrit comme monsieur le marquis de Meyne
43s’estoit embarqué contre le vouloir de l’ambassadeur de sa majesté qui feist plusieurs
44protestations et sommations de ne passer oultre et comme particulièrement il a faict à tous
45les François. Mesme mon frère m’escrit que l’estoit allé saluer, suivant la charge que je luy en
46avoys donné, ledit sieur ambassadeur luy offrit tout plaisir et faveur pourveu qu’il ne passast
47oultre, l’asseurant qu’il advertiroit le roy du nom de tous ceulx qui accompaigneroient
48ledit seigneur marquis. L’armée des Vénitiens est à Corfou attendant Don Jehan d’Austria
49qui est à Messine d’où il ne veult bouger jusques à ce qu’il entende quel ply prendront
50les affaires de Flandres, de quoy les Vénitiens se faschent merveilleusement et despute l’on
51contre les Françoys comme aultheur de ce mal. Ladite armée des Vénitiens avoit assaillye
52une ville maritime nommée Castelnovo, mais ilz ont esté contrainctz de se retirer sans y
53faire long séjour à cause que la ville est forte, bien munye et fut secouru de XIIcs L
54chevaulx turcqs qui n’estoient esloignez du lieu. Ilz tiennent pour certain que l’armée
55de la Ligue ne fera pas grand chose ceste année si les affaires succèdent mal en Flandres.
56Une partie viendra assaillir la coste de première, l’autre servira en Flandres.
57D’Anvers, par lettres du XXVIIIe du passé, le duc de Medinacely estoit arrivé à bon port
58avec environ six mil hommes et s’en alloit joindre au duc d’Albe, qui estoit devant Mons,
59estant délibéré de commencer à battre la ville le XIe du présent avec toutes ses
60forces qui ne sont petites. Les huguenotz avoient semé un bruict qui a continué quatre ou cinq
61jours comme ledit duc de Medinacely avoit esté deffaict et s’estoit saulvé sur quarante lieus
62dans Bruxelles et que le duc d’Albe s’estoit retiré dans la citadelle d’Anvers.
63Mais cella a esté trouvé faulx. Les huguenotz de Flessins ont mis les Anglois
64avec le reste, lesquelz à présent s’en veullent faire maistres. Ilz ont puis ung moys prins
65quelques navires apartenans à des Portugais chargés de marchandises pour plus
66de douze cens mil livres , de sorte que cella causera de banques routes.
67[f° 274] De Paris, du VII et VIIIe du present : le roy a de nouveau mandé à monsieur de Longueville
68d’assembler forces telles qu’il porra en tailler en pieces tous ceulx qui iront à la guerre
69de Flandres ; et toutesfois, il se trouve qu’ilz sont desja plus de VI c[ens] hommes huguenotz
70sur les frontières, lesquelz ne s’osent hazarder d’entrer dans le pays de Flandres,
71à cause que le duc d’Albe est fort de cavallerie ; avec ce, quilz attendent à quoy reusciront
72les poursuictes et courvées continuelles que faict l’admiral à sa majesté de secourir ceulx de Mons
73et mectre armée sur luy, promectant merveilles. A quoy toutesfois, le roy dit ne vouloir
74entendre et veult maintenir la paix. L’ambassadeur du pape et celluy d’Espaigne
75poursuivent destre ouys pour scavoir la volunté et resolution de sa majesté touchant lesdites
76affaires de Flandres. Mais, ilz nont peu encores avoir audiance, estant renvoyé du roy
77à la royne mère et d’elle au roy, qui faict mal presumer et donne soupçon de beaucoup
78de malheur. Le roy et la royne mère faignans daller à la forestz de Lyons
79à la chasse, sont allez avec six vingtz chevaulx seulement en Normandie et jusques
80à Dieppe. Lon ne scait pourquoy beaucoup de personne le trouvent estrange de se
81mectre ainsi en dangier. Tout le pays de Poitou est plain de soldatz et gens darmes,
82lesquelz font mille maulx et vivent à discretion et ruynent le peuple. Le sieur Strozy
83n’est encores embarqué et est attendant au Bourdellays. Lon tient que son voiage est rompu.
84Le roy de Navarre est à Vendosme pour assister à l’enterrement de sa mère, que l’on
85porte en grand pompe dans ung chariot tiré à six chevaulx, couvert de vellours noir,
86et le chariot de mesmes avec une barre blanche. Il y avoit XXX ou XL chevaulx
87couvers de mesmes et tous les serviteurs avec des restres noirs. Le mariage dudit roy
88de Navarre avec madame se cellebrera le XXV de ce moys. L’on ne scait s’il se fera grand
89pompe ; et toutesfois, l’on vuide le palaix de Paris pour y faire les nopces. Voyla tout ce
90que j’ay peu apprendre pour le présent. S’il y a quelque chose qui ne se trouve veritable,
91je n’en suis lautheur. S’il survient quelque autre chose par cy-après qui merite l’escrire,
92je ne feray faulte vous en advertir, ou bien seray le porteur moy-mesme pour vous faire
93très humble service, et d’aussi bonne volunté, comme je prie Dieu,
94Monseigneur, en santé vous donner heureuse et longue vie. De Lyon, ce XIIIe juillet 1572.
95Vostre très humble et obeissant serviteur.
96[v] Monseigneur, pour avoir trouvé homme qui s’en allast de par della pour porter la présente,
97j’ay icelle retenu jusques à présent et ce pendant me suis enquis s’il y avoit quelque
98chose de nouveau, sur quoy ie n’ay peu apprendre autre, sinon que le bruict est
99que le cardinal d’Altehens, natif d’Allemaigne, a esté empoizonné à Rome
100et est décédé. Il estoit grand amy et famillier du pappe, lequel aiant oppinion
101d’estre luy mesme empoizonné a prins de contrepoizon et est encores malade.
102Il y a quelques cardinaulx prisonniers. L’on n’a auculne lettre de Rome
103ains de Florence, qui faict que l’on ne tient la chose pour asseurée.
104Ceulx qui se meslent de discourir sur l’advènement des choses allèguent
105sur ce faict qui peult estre provenu, d’aultant que ledit cardinal persuadoit fort
106au pape ne se parraliser pour aulcung prince chrestien et que sur ce propos,
107l’ambassadeur d’Espaigne parlant au pape sur les troubles de Flandres
108qu’il disoit estre occasion que Don Jehan d’Austria ne voloit partir de Messine
109sans voir lèvement desdites affaires de Flandres, disant aussi ledit ambassadeur
110que toute l’armée de la Ligue porroit rebrosser chemyn contre Prouvence, le
111pape respondit qu’il ne délibéroit pas fournir plus argent qui est que ledit
112d’Austria ne voloit rien exécuté pour la chrestienté et que pour sont regard, il
113ne permettroit que l’armée de la Ligue feist guerre contre aulcun prince chrestien
114ny ses deniers employez pour ce faict. Voilà ce que j’en ay peu apprendre
115d’aulcune des nations de ceste ville. Le roy de Navarre arriva le IXe
116de ce moys à Paris avec messieurs les princes et grand nombre de noblesse.
117Il rentra dans la ville au milieu de Monsieur et de monsieur le duc,
118estant habillé tout de noir et un chapperon derière l’espaule, comme nous
119le portons au deuil. Ses gens estoient semblablement tous vestus de noir.
120Lon faict icy bruict que le sieur Strozy estant entré dans La Rochelle
121pour s’embarquer, n’en n’a voulu bouger, disant avoir charge attendre la volunté
122du roy et est comme maistre de la ville. Toutesfois, on ne le tient pour certain
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